Le cinéma et les mondes païens
jeudi, 29 septembre 2016
Poe et Baudelaire face à «l'erreur américaine»
Poe et Baudelaire face à «l'erreur américaine»
par Nicolas Bonnal
Ex: http://www.dedefensa.org
Les deux fondateurs de l'anti-américanisme philosophique sont Edgar Poe et Charles Baudelaire ; le premier dans ses contes, le deuxième dans ses préfaces. La France et sa petite sœur Amérique sont les deux pays à avoir fourni les plus belles cohortes d'antimodernes depuis les révolutions. Souvent du reste on retrouve le thème commun de la nostalgie dans les grands films américains (voyez Naissance d'une nation, la Splendeur des Amberson, l'Impasse de De Palma). Et la rage de Baudelaire contre « la barbarie éclairée au gaz » vaut celle d'Henry Miller avec son « cauchemar climatisé ».
On laisse parler Baudelaire, traducteur et préfacier de Poe. Dans un élan rebelle et réactionnaire, il écrit :
« De tous les documents que j’ai lus en est résultée pour moi la conviction que les États-Unis ne furent pour Poe qu’une vaste prison qu’il parcourait avec l’agitation fiévreuse d’un être fait pour respirer dans un monde plus aromal, – qu’une grande barbarie éclairée au gaz, – et que sa vie intérieure, spirituelle, de poète ou même d’ivrogne, n’était qu’un effort perpétuel pour échapper à l’influence de cette atmosphère antipathique. »
D'ou ces myriades de littérateurs qui de Cooper à James en passant par la génération perdue ou Diane Johnson (romancière et scénariste de Shining, une amie) trouvent refuge en France - avant que celle-ci ne fût crucifiée par Hollande et Sarkozy.
Puis Baudelaire ajoute sur la tyrannie de la majorité :
« Impitoyable dictature que celle de l’opinion dans les sociétés démocratiques ; n’implorez d’elle ni charité, ni indulgence, ni élasticité quelconque dans l’application de ses lois aux cas multiples et complexes de la vie morale. On dirait que de l’amour impie de la liberté est née une tyrannie nouvelle, la tyrannie des bêtes, ou zoocratie... »
Baudelaire s'irrite dans une autre préface : racisme, brutalité, sexualité, avortement, tout y passe, avec au passage le nécessaire clin d’œil de sympathie pour les noirs et les indiens :
« Brûler des nègres enchaînés, coupables d’avoir senti leur joue noire fourmiller du rouge de l’honneur, jouer du revolver dans un parterre de théâtre, établir la polygamie dans les paradis de l’Ouest, que les Sauvages (ce terme a l’air d’une injustice) n’avaient pas encore souillés de ces honteuses utopies, afficher sur les murs, sans doute pour consacrer le principe de la liberté illimitée, la guérison des maladies de neuf mois, tels sont quelques-uns des traits saillants, quelques-unes des illustrations morales du noble pays de Franklin, l’inventeur de la morale de comptoir, le héros d’un siècle voué à la matière. »
Et notre grand génie de la « modernité » poétique de rajouter que l'américanomanie gagne du terrain, et ce grâce au clergé catholique (toujours lui...) :
« Il est bon d’appeler sans cesse le regard sur ces merveilles de brutalité, en un temps où l’américanomanie est devenue presque une passion de bon ton, à ce point qu’un archevêque a pu nous promettre sans rire que la Providence nous appellerait bientôt à jouir de cet idéal transatlantique! »
Venons-en à Edgar Poe. C'est dans son Colloque entre Monos et Una que notre aristocrate virginien élevé en Angleterre se déchaîne :
« Hélas ! nous étions descendus dans les pires jours de tous nos mauvais jours. Le grand mouvement, – tel était l’argot du temps, – marchait ; perturbation morbide, morale et physique. »
Il relie très justement et scientifiquement le déclin du monde à la science:
« Prématurément amenée par des orgies de science, la décrépitude du monde approchait. C’est ce que ne voyait pas la masse de l’humanité, ou ce que, vivant goulûment, quoique sans bonheur, elle affectait de ne pas voir.
Mais, pour moi, les annales de la Terre m’avaient appris à attendre la ruine la plus complète comme prix de la plus haute civilisation. »
Poe voit l'horreur monter sur la terre (Lovecraft reprendra cette vision). L'industrie rime avec maladie physique :
« Cependant d’innombrables cités s’élevèrent, énormes et fumeuses. Les vertes feuilles se recroquevillèrent devant la chaude haleine des fourneaux. Le beau visage de la Nature fut déformé comme par les ravages de quelque dégoûtante maladie. »
On peut rappeler qu'un grand peintre de l'école de Hudson nommé Thomas Cole a réalisé une suite admirable de tabeaux symboliques nommé the Course of Empire. Intéressez-vous à cette passionnante école de peinture, et à l'artiste allemand Bierstadt qui réalisa les plus géniales toiles de paysages américains. Après la dégoûtante maladie recouvrit tout (Parcs nationaux ! Parcs nationaux !).
Dans Petite conversation avec une momie, Poe règle d'autres comptes. Il relativise nos progrès médicaux (simple allongement de la durée de vieillesse) et mécaniques :
« Je lui parlai de nos gigantesques forces mécaniques. Il convint que nous savions faire quelque chose dans ce genre, mais il me demanda comment nous nous y serions pris pour dresser les impostes sur les linteaux du plus petit palais de Carnac. »
Le comte nommé Allamistakéo, la momie donc, donne sa vision du progrès :
« Le comte dit simplement que, de son temps, les grands mouvements étaient choses terriblement communes, et que, quant au progrès, il fut à une certaine époque une vraie calamité, mais ne progressa jamais. »
L'idée que le progrès ne progressera plus, entre embouteillages et obésité, entre baisse du QI et effondrement de la culture, me paraît très bonne. On ne fait pas mieux qu'au temps de Jules Verne (la lune...), et on ne rêve même plus.
Sur la démocratie US, on se doute que Poe nous réserverait une « cerise » :
« Nous parlâmes alors de la grande beauté et de l’importance de la Démocratie, et nous eûmes beaucoup de peine à bien faire comprendre au comte la nature positive des avantages dont nous jouissions en vivant dans un pays où le suffrage était ad libitum, et où il n’y avait pas de roi. »
Il évoque en riant les treize colonies qui vont se libérer du joug de l'Angleterre.
« La chose néanmoins finit ainsi : les treize États, avec quelque chose comme quinze ou vingt autres, se consolidèrent dans le plus odieux et le plus insupportable despotisme dont on ait jamais ouï parler sur la face du globe.
Je demandai quel était le nom du tyran usurpateur. Autant que le comte pouvait se le rappeler, ce tyran se nommait : La Canaille. »
Cela nous rappelle la juste phrase de Mel Gibson dans le Patriote, qui préférait avoir un tyran (le roi d'Angleterre, le brave George en plus à demi-fou) de l'autre côté de l'Atlantique que 400 (sénat, congrès, bureaucratie, en attendant FBI, NSA, CIA et tout ça) ici tout près. On se doute que la critique de la démocratie ici a quelque chose de tocquevillien. Et à une époque où on vous interdit tel maillot de bain et où on vous met en prison (comme récemment en Espagne) pour une simple gifle (la mère emprisonnée, la gamine se retrouva à la rue !), on ne peut que s'émerveiller des performances du pouvoir de la canaille.
Citons cette phrase méconnue de Tocqueville :
« Le naturel du pouvoir absolu, dans les siècles démocratiques, n’est ni cruel ni sauvage, mais il est minutieux et tracassier. Un despotisme de cette espèce, bien qu’il ne foule point aux pieds l’humanité, est directement opposé au génie du commerce et aux instincts de l’industrie. »
Et en effet il devenu impossible de créer des emplois en Europe comme en Amérique. On peut juste rayer bureaucratiquement les chômeurs pour plastronner devant la presse...
La peur de l'américanisme est donc aussi partagée en France qu'en Amérique au siècle de Comte. On citera aussi Renan qui parle quelques décennies plus tard:
« Le monde marche vers une sorte d'américanisme, qui blesse nos idées raffinées…
Une société où la distinction personnelle a peu de prix, où le talent et l'esprit n'ont aucune valeur officielle, où la haute fonction n'ennoblit pas, où la politique devient l'emploi des déclassés et des gens de troisième ordre, où les récompenses de la vie vont de préférence à l'intrigue, à la vulgarité, au charlatanisme qui cultive l'art de la réclame, à la rouerie qui serre habilement les contours du Code pénal, une telle société, dis-je, ne saurait nous plaire. »
Et on conclura avec Baudelaire qui voit en poète, en visionnaire, le risque que fera peser l'américanisme sur le monde et l'Europe :
« Les États-Unis sont un pays gigantesque et enfant, naturellement jaloux du vieux continent. Fier de son développement matériel, anormal et presque monstrueux, ce nouveau venu dans l’histoire a une foi naïve dans la toute-puissance de l’industrie ; il est convaincu, comme quelques malheureux parmi nous, qu’elle finira par manger le Diable. »
Nicolas Bonnal
Bibliographie
• Edgar Poe – Histoires extraordinaires.
• Edgar Poe- Nouvelles histoires extraordinaires.
• Baudelaire – Préface de ces deux recueils (ebooksgratuits.com).
• Ernest Renan- Souvenirs.
• Tocqueville – De la Démocratie, II, Deuxième partie, chapitre XIV.
• Nicolas Bonnal – Lettre ouverte à la vieille race blanche, ch.IV.
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samedi, 17 septembre 2016
Le Vicomte de Bonald et la Tradition bafouée
Le Vicomte de Bonald et la Tradition bafouée
par Nicolas Bonnal
Ex: http://www.dedefensa.org
Le vicomte de Bonald est certainement plus que Maurras le fondateur de la révolution conservatrice en France, le théoricien de la restauration intelligente. Point compromis par les excès verbaux du journalisme, il n’a pas non plus le fondamentalisme un peu vain de Joseph de Maistre, beaucoup plus à la mode. Il lui a manqué sans doute un vulgarisateur reconnu pour déplier les recoins de sa vaste et encyclopédique pensée, et en dérouler les fils de la subtile simplicité., archive.org m’a permis de lire ou de relire les dix-sept volumes de ses œuvres complètes. Je me contente de donner à mes lecteurs un avant-goût de son style et de son esprit car ce théoricien présumé obscur et peu frondeur est un régal pour les sens et la sensibilité. J’en laisse juges mes lecteurs en les invitant à partager les réflexions de ce grand esprit toujours ignoré et jamais oublié.
Et pour écrire comme Céline, je lui trouve un succulent génie libertarien pour le coup moi au vicomte. Mécanisation, bureaucratie, fiscalité, sans oublier les beaux esprits. Futur et Fin de ce monde.
Voyez cette première phrase qui résume en deux lignes de concision efficiente toute l’entropie de ce monde dit moderne :
« En France, on a substitué moralité à morale, en Allemagne, religiosité à religion; partout, honnêteté à vertu. C’est à peu près la même chose que le crédit substitué à la propriété. »
« ... Ceci nous ramène à la constitution de l’Angleterre, où il n’y a pas de corps de noblesse destinée à servir le pouvoir, mais un patriciat destiné à l’exercer. »
« Que s’est-il donc passé dans la société, qu’on ne puisse plus faire aller qu’à force de bras une machine démontée qui allait autrefois toute seule, sans bruit et sans effort ? »
« Ils deviennent crédules en cessant d’être croyants, comme ils deviennent esclaves dès qu’ils cessent d’être sujets. »
« Il y a des hommes qui, par leurs sentiments, appartiennent au temps passé, et par leurs pensées à l’avenir. Ceux-là trouvent difficilement leur place dans le présent. »
« J’aime, dans un Etat, une constitution qui se soutienne toute seule, et qu’il ne faille pas toujours défendre et toujours conserver. »
« La société finit, elle n’a plus d’avenir à attendre, parce qu’elle n’a plus de passé à rappeler, et que l’avenir ne doit être que la combinaison du passé et du présent. »
« Rome : quand la démocratie eut pris le dessus, cette société chercha un chef, comme elles le cherchent toutes, et ne rencontra que des tyrans. Ce peuple, admirable dans ses premiers temps, fait pitié sous ses tribuns, horreur sous ses triumvirs, et, soumis à ses empereurs, n’excite plus que mépris et dégoût. »
« Le tutoiement s’est retranché dans la famille ; et après avoir tutoyé tout le monde, on ne tutoie plus que ses père et mère. Cet usage met toute la maison à l’aise : il dispense les parents d’autorité et les enfants de respect. »
« L’Etat qui prend trop sur les hommes et les propriétés de la famille, est un dissipateur qui dévore ses capitaux. »
« Je crois qu’il ne faudrait pas aujourd’hui d’impôt foncier chez un peuple agricole, mais seulement des impôts indirects. L’Etat qui impose la terre, prend sur son capital ; quand il impose les consommations, il vit de son revenu. »
« Partout où il y a beaucoup de machines pour remplacer les hommes, il y aura beaucoup d’hommes qui ne seront que des machines. »
« La disposition à inventer des machines qui exécutent le plus de travail possible avec le moins de dépense d’intelligence de la part de l’ouvrier, s’est étendue aux choses morales. »
« Le juge lui-même, au criminel, est une machine qui ouvre un livre, et marque du doigt la même peine pour des crimes souvent fort inégaux ; et les bureaux ne sont aussi que des machines d’administration. »
« L’école de Bonaparte a pu former quelques administrateurs, mais elle ne pouvait pas faire des hommes d’Etat. »
« Bonaparte avait été obligé d’employer une force excessive dans son administration, parce qu’il n’y en avait aucune dans sa constitution. »
« Les sauvages ne détruiront que la récolte d’une année, les beaux esprits m’enlèvent la propriété même du fonds. Les uns insultent mon cadavre, les autres poursuivent ma mémoire ; je ne vois de progrès que dans les moyens de nuire, et le plus sauvage est celui qui fait le plus de mal. »
« Toute la science de la politique se réduit aujourd’hui à la statistique : c’est le triomphe et le chef-d’oeuvre du petit esprit. On sait au juste (et j’en ai vu faire la question officielle) combien dans un pays les poules font d’oeufs, et l’on connaît à fonds la matière imposable. Ce qu’on connaît le moins sont les hommes ; et ce qu’on a tout à fait perdu de vue, sont les principes qui fondent et maintiennent les sociétés. »
« L’art de l’administration a tué la science du gouvernement. »
« Les philosophes qui se sont élevés avec tant d’amertume contre ce qu’ils ont appelé des préjugés, auraient dû commencer par se défaire de la langue elle-même dans laquelle ils écrivaient ; car elle est le premier de nos préjugés, et il renferme tous les autres. »
« Ce n’est pas le peuple occupé qui réclame la souveraineté, c’est le peuple oisif qui veut faire le peuple occupé souverain malgré lui, pour gouverner sous son nom et vivre à ses dépens. »
« Dans le dernier âge, où les intérêts sont plus compliqués, les passions plus artificieuses et les esprits plus raffinés, le crime est un art et presque une profession, et la fonction de le découvrir et de le juger doit être une étude. »
« Toute passion qui n’est pas celle de l’argent des honneurs ou des plaisirs, s’appelle aujourd’hui fanatisme et exagération. »
« L’excès des impôts transporte chez les peuples chrétiens l’esclavage tel qu’il existait chez les anciens ; car l’esclavage n’est, à le bien prendre, que le travail fait tout entier au profit d’un autre. »
« Les petits talents comme les petites tailles se haussent pour paraître grands ; ils sont taquins et susceptibles, et craignent toujours de n’être pas aperçus. »
Nicolas Bonnal
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vendredi, 06 mai 2016
Le cinéma et les mondes païens
Ex: http://www.breizh-info.com & http://francephi.com
Enfin un livre sur le paganisme au cinéma : les héros, les mythes, les épopées, le voyage initiatique, l’âge d’or, la femme fatale, l’enlèvement saisonnier, tout vient en fait du paganisme !
Le conte a souvent mauvaise presse, étant confondu avec la sorcellerie ou la spiritualité New Age. Pourtant cette sensibilité cosmique et féerique continue toujours d’inspirer notre quotidien, malgré le rationalisme et la médiocrité moderne.
Ce livre tente de recenser les nobles inspirations du paganisme dans le septième art. Il évoque bien sûr le cinéma français, soulève l’importance excessive du cinéma américain et notre inspiration anglo-saxonne. Puis il évoque d’une manière plus originale la source païenne dans le cinéma soviétique ou japonais de la grande époque, sans oublier celles du cinéma allemand, surtout celui de l’ère muette. L’ouvrage célèbre les contes de fées, les épopées, les adaptations des mythes fondateurs de la tradition nippone ou européenne. Il ignorera certaines cinématographies, quand il insiste sur d’autres. Mais le sujet est bien vaste…
Si l’on devait donner quelques noms prestigieux pour illustrer notre livre, nous donnerions ceux de Walsh, Lang, Kurosawa, celui de son compatriote Inagaki, génie païen oublié (lion d’or et oscar en son temps) du cinéma. Et bien sûr ceux des soviétiques négligés comme Alexandre Rou – officiellement « folkloriste » – et le grand maître ukrainien Ptushko. Mais la France mystérieuse, celle de Cocteau, Rohmer et Duvivier, a aussi son mot à dire…
Nous espérons que notre ouvrage redonnera à ce cinéma populaire et cosmologique quelques-unes de ses plus belles lettres de noblesse.
Entretien avec Nicolas Bonnal sur le paganisme au cinéma
Les éditions Dualpha publient « Le paganisme au cinéma » rédigé par Nicolas Bonnal , écrivain auteur notamment d’ouvrages sur Tolkien.
Mondes païens, épopées, contes de fées… Enfin un livre sur le paganisme au cinéma : les héros, les mythes, les épopées, le voyage initiatique, l’Age d’or, la femme fatale, l’enlèvement saisonnier, tout vient en fait du paganisme !
Rédigé par un cinéphile passionné et érudit, ce livre trouvera une place de premier choix dans votre bibliothèque non conforme.
Nous avons interrogé Nicolas Bonnal, qui a accepté de nous parler de son livre.
Breizh-info.com : Pouvez-vous vous présenter ?
Nicolas Bonnal : Je suis historien de formation, ancien IEP Paris. J’ai beaucoup voyagé et je vis depuis quinze ans à l’étranger. Mes voyages m’auront sauvé. Je collabore avec la presse russe et avec des sites rebelles. Mes livres sont liés à des commandes et à des passions personnelles : étude ésotérique de Mitterrand (Albin Michel puis Dualpha) ou de Tolkien (les Univers d’un Magicien) ; livres sur le cinéma ou la culture rock (Damnation des arts, chez Filipacchi). Les sujets liés à l’initiation m’ont toujours plu : mon guide du voyage initiatique, publié jadis aux Belles Lettres.
Mais mes pépites sont mes recueils de contes (Les mirages de Huaraz, oubliés en 2007) ou mes romans, notamment Les maîtres carrés, téléchargeable en ligne. Plus jeune, je rêvais de changer le monde, aujourd’hui de vivre agréablement en Espagne et ailleurs. J’ai un gros penchant pour la Galice, terre extrême et bien préservée. Sinon je suis très polémiste de tempérament, mais cela apparaît peu dans mes livres.
Breizh-info.com : Loin des clichés et des mythes, qu’est ce que le paganisme ?
Nicolas Bonnal : Pour moi c’est la Tradition primordiale hyperboréenne. C’est la seule relation de vérité et de beauté avec le monde. Tout est bien lisible dans Yourcenar ou dans Nerval.
Le paganisme, c’est la beauté, la blondeur, l’élévation sentimentale, la danse céleste, le voyage initiatique ou la guerre héroïque, le lien avec le cosmos et avec les dieux. Le reste est laid et inutile.
Breizh-info.com : Votre ouvrage se focalise presque intégralement sur un cinéma « que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaitre » comme dirait la chanson. Le cinéma des années 90 et 2000 serait donc vide de tout paganisme ?
Nicolas Bonnal : Non. Vous avez un chapitre sur le cinéma contemporain. J’explique des films récents que j’ai bien aimé, Twilight, Point Break, le treizième guerrier, le Seigneur des Anneaux, Apocalypse Now (le colonel Kurtz est lié au rameau d’or ou à Jamie Weston, donc au Graal).
Pour le reste il faut redécouvrir le monde recouvert par la merde médiatique contemporaine et par une ignorance crasse dans tous les domaines. Donc je parle des grands films soviétiques et japonais ou du cinéma muet. Je suis obligé de le faire. Je permets aussi au jeune Français de redécouvrir son patrimoine : Pagnol, Renoir, Cocteau.
Et si c’est mieux que Luc Besson ou les films cannois, je n’y peux rien. Ressentir le paganisme est une grande aventure spirituelle et intellectuelle, un effort intelligemment et sensiblement élitiste.
Donc pas de feuilletons américains interdit au moins de dix-huit ans ! Il faut le dire sans arrogance mais il faut le dire. Il faut oublier Avatar, et découvrir Ptouchko, Inagaki. Dans sa cabane de rondins, l’américain Thoreau tentait d’ignorer son affreux pays, philosophait et lisait en grec l’odyssée. C’est cela être païen.
Je vous invite à découvrir Taramundi par exemple en Galice pour y aller philosopher ou travailler le fer.
Breizh-info.com : Que diriez vous à des cinéphiles qui – comme moi et je pense qu’ils sont nombreux – ont un mal fou bien que férus de légendes, de mythologies et d’histoire, à regarder un film en noir et blanc ou les premiers films couleurs ? Comment les inciteriez vous à changer de regard sur ce cinéma, techniquement moins abouti qu’aujourd’hui et difficile à suivre pour l’œil ?
Nicolas Bonnal : Oui, TNT avait colorisé les films pour contourner la paresse du spectateur moyen ! Mais c’est céder à l’ennemi. La facilité nous tuera tous. C’est le triomphe de la pornographie sur l’amour fou.
J’adore le cinéma populaire. Je cite beaucoup de films en couleur, bien plus beaux qu’aujourd’hui car ils étaient en cinémascope. C’est pourquoi je défends même certains beaux « classiques » américains (les comédies musicales, surtout Brigadoon) ! Les films soviétiques ou japonais sont superbes, le Fleuve de Renoir aussi. Le noir et blanc expressionniste de Fritz Lang inspire toujours les bons cinéastes, et Metropolis comme les Nibelungen sont une date dans l’histoire.
Donc je le répète, il faut découvrir, il faut chercher, faire un effort. Il y a bien des gens qui vont dans les Himalayas escalader des pics, alors pour le cinéma ou la littérature on peut faire de même et devenir un athlète de la cinéphilie ! Il faut aussi redonner un sens pratique et initiatique au mot solidarité, créer des ciné-clubs communautaires et sensibles, échanger grâce aux réseaux sociaux autre chose que sa détestation pour Gaga ou Obama.
Et puis il faut s’ouvrir au vrai orient. Actuellement le cinéma chinois est à la pointe sur le plan technique, initiatique, héroïque. Voyez les films de Donnie Yen ou Jet Li (ses films chinois !). Ils sont à un centime sur amazon.co.uk, souvent extraordinaires.
Je recommanderai surtout les films historiques de Zang Yimou et le cinéma de Donnie Yen, extraordinaire athlète et acteur. Ici il n’y a plus aucune excuse pour refuser cette leçon. Mais quel plaisir noble que de découvrir Orphée de Cocteau ou de retrouver Naissance d’une Nation, sa célébration de la féodalité sudiste…
Breizh-info.com Quels sont les films qui vous ont le plus marqué concernant la thématique que vous abordez dans le livre, et pour quelles raisons ?
Nicolas Bonnal : Les deux Fritz Lang cités plus haut. J’aime beaucoup la Belle et la Bête de Cocteau, Perceval de Rohmer, bien enracinés dans notre vieille France initiée. Je célèbre Inagaki pour son culte du Japon solaire, cyclique, héroïque, mythologique. C’est lui aussi qui a réalisé la plus grande adaptation des 47 rônins remis au goût du jour récemment. Il faut voir Rickshaw man (voyez un génial extrait sur Youtube, Toshiro Mifune battant le tambour)) et les Trois trésors.
Tout cela est disponible via Amazon (essayez plutôt pour économiser et trouver plus amazon.co.uk ou amazon.es) et Youtube. Il y a un site russe Mosfilm. J’ai adoré donc les films de Ptouchko (Ilya Murometz, phénoménal, ou les Voyages de Sadko) et de Rou, un irlando-grec né en Russie et maître du cinéma folklorique soviétique. Voyez ses films sur Babayaga, Kochtchei, Vassilissa.
Breizh-info.com : Comment expliquez-vous qu’à l’heure actuelle, les Européens (Russie exceptée) semblent dans l’incapacité de tourner des films à la gloire d’un passé, d’une mythologie, d’une civilisation ? Pourquoi ont-ils laissé Hollywood massacrer nos mythes ?
Nicolas Bonnal : Il y a eu un bon Hollywood avec Griffith, Walsh, Hathaway : Peter Ibbetson est un sommet du cinéma érotique, lyrique et onirique. Même les films d’Elvis sont très bons, voyez ceux sur Hawaï, ils vous surprennent. Le King était une belle figure. Pour répondre à votre question, Guénon a rappelé que le peuple contient à l’état latent les possibilités initiatiques. Le paganisme est d’essence populaire et l’on détruit simplement les peuples à notre époque.
Jusqu’aux années cinquante et soixante, ce paganisme de masse avec touche éducative s’est maintenu au cinéma. Il y avait encore une civilisation paysanne en France, au Japon, en Russie, en Ukraine. Les films mexicains étaient très bons par exemple. Puis la mondialisation sauce néo-Hollywood et la société de consommation sont arrivées : on supprime tout enracinement (celui visible encore chez Renoir, Pagnol ou même Eric Rohmer), et on le remplace par un Fast-food visuel pour société liquide. Ensuite il y a une autre raison plus grave, si l’on veut. Le kali-yuga, l’âge de fer d’Ovide. On n’est pas païen si l’on est n’est pas lucide ou pessimiste. Cela ne signifie pas qu’il ne faut pas résister.
Mais je répète que toutes nos traditions ont été convenablement défendues jusqu’aux années 70, et j’ai souligné le rôle païen, libertaire et positif (cinéma allemand façon Schroeder ou Herzog) de cette décennie. Ensuite on est entrés dans le trou noir absolu. De temps en temps une petite lueur. Je répète ce que j’ai dit : il faut découvrir le cinéma chinois avec ses épopées, son féminisme magique, des arts martiaux à touche taoïste (fabuleux duel du début de Hero !), son moyen âge héroïque. Là je vous garantis qu’on est loin des tortues ninjas de Marvel.
(Propos recueillis par Yann Vallerie)
Pourquoi un livre sur le paganisme au cinéma?
Propos recueillis par Fabrice Dutilleul
Pourquoi ce livre ? Par goût du paganisme ou du cinéma ?
Par cinéphilie ! J’étais un jour dans un bus au Pérou, à 4600 mètres, tout près d’Ayacucho. On projetait un film à la télé à bord, et les jeunes indiens se sont comme arrêtés de vivre. Ils ont fusionné avec le film. C’était L’Odyssée. Je me suis dit alors : il y a quelque chose de toujours vrai et de fort ici, puisque les descendants des incas adorent cette épopée et les voyages d’Ulysse.
Et vos références ?
Je suis un vieux cinéphile et j’ai toujours aimé les films à forte résonnance tellurique ou folklorique. Jeune, j’adorais Excalibur ou Apocalypse now. On se souvient que le colonel Kurtz lit Jamie Weston et Le Rameau d’or. Ensuite, j’ai découvert dans un ciné-club à Grenade (merci Paco !) le cinéma japonais, dont le contenu païen est très fort, avec Inagaki et, bien sûr, Kurosawa. Puis, je me suis plongé grâce à ma belle-famille dans le cinéma populaire soviétique qui s’inspire des contes de fées (skaska) et des récits de chevaliers (bogatyr) ; les grands maîtres sont Rou et Ptouchko. Dans ce cinéma d’ailleurs, des femmes inspirées ont joué aussi un très beau rôle tardif. Voyez la Fleur pourpre (Belle et Bête revisitées) de mon amie Irina Povolotskaya.
Il y a une tonalité nostalgique dans tout le livre.
C’est une des clés du paganisme. Il était lié à une civilisation agricole qui a disparu. Relisez Ovide ou Hésiode. Il est aussi lié à une perception aigüe de la jeunesse du monde. Dans ce livre, on regrette le cinéma muet, expressionniste, le cinémascope, les grands westerns, le cinéma enraciné des Japonais, à l’époque où il y a encore une agriculture avec ses rites. Tout cela est parti maintenant, et on regrette les âges d’or et même la nostalgie évanouie. C’est évident pour le cinéma français des années 30 à 50. On pleure en pensant Pagnol, Renoir, Duvivier. Regain, le Fleuve et Marianne sont des hymnes au monde, quand la France était encore de ce monde.
Il y a aussi une tonalité mondialiste !
Pas mondialiste, mais mondiale. C’est beau d’aimer le monde. On ne peut se limiter à connaître le cinéma américain parce qu’on est colonisé culturellement, ou notre seul cinéma français. Donc vive le Japon, l’Allemagne de Weimar, la Russie enracinée de la Grande Guerre patriotique ! En se basant sur des données traditionnelles, on voit les troncs communs de la spiritualité païenne, qu’on a tant oubliée depuis.
Et le paganisme proprement dit ? Comment le considérez-vous ?
C’est ici une affaire de sensibilité et de culture, pas de pratique religieuse… les héros, l’aventure, les mythes, le crépuscule, l’âge d’or : tout cela donne ses lettres de noblesse au cinéma, avec les couleurs du cinémascope et les cheveux blonds des héros russes. Le paganisme est la source de toute la littérature populaire d’aventure et donc du cinéma. On ne peut pas comprendre Jules Verne ou Conan Doyle si l’on n’est pas au fait de ces croyances, de cette vision poétique du monde.
Vous avez partagé votre livre en cinématographies ?
Pas tout à fait. J’étudie bien sûr les grands moments du cinéma russe ou japonais, ceux du cinéma allemand muet ou moderne (de Fritz Lang à Herzog), les beaux moments du cinéma français (Renoir, Rohmer, Duvivier…). Puis je reviens au cinéma américain, via les grands classiques du western et de la comédie musicale (Brigadoon) et le beau cinéma orangé des années 70. Et je commence mon livre par un aperçu de notre culture païenne expliquée par les spécialistes et réintégrée dans la culture populaire depuis le romantisme !
Si le sujet de ce livre est le paganisme, quel en est l’objet ?
Connaître des cinématographies, les comprendre et les aimer. Le cinéma est venu quand le monde moderne a commencé à tout détruire, les contes et légendes, les paysages, les danses folkloriques, les cadres de vie, tout !
Cette industrie artistique a aidé à comprendre (même si elle a parfois caricaturé ou recyclé) la beauté du monde ancien, tellurique et agricole qui allait disparaître. Le cinéma japonais est magnifique dans ce sens jusqu’au début des années soixante. Et donc l’objet de ce livre est de pousser la jeunesse à redécouvrir l’esprit de la Genèse, la nature, les animaux, les cycles, les hauts faits, les voyages et les grandes aventures initiatiques. Les romains, dit déjà Juvénal dans ses Satires, connurent le même problème, les enfants ne croyant même plus aux enfers ! C’est un livre sur la poésie de la vie et des images qui nous aident à l’affronter aux temps de l’existence zombie et postmoderne.
Quelques films pour commencer ?
Ilya Murometz de Ptouchko. Kochtchei de Rou. Les Trois Trésors d’Inagaki. Les Nibelungen de Fritz Lang. Le Fleuve de Renoir.
Pourquoi toujours ce Fleuve ?
Parce que c’est l’eau, c’est Héraclite et son fleuve où l’on ne se baigne pas deux fois. C’est le chant des bateliers aussi. C’est le Gange, avec vie et mort. C’est l’éternité du monde avant l’industrie. C’est la famille aussi. Et c’est la nostalgie.
Le paganisme au cinéma de Nicolas Bonnal – 354 pages – 31 euros – éditions Dualpha, collection « Patrimoine du spectacle », dirigée par Philippe Randa.
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lundi, 31 mars 2014
Ridley Scott et le rétrofuturisme
« C’est un conservateur initiatique à l’anglaise
comme je les aime ;
un homme de culture un rien sceptique,
mais épris d’aventures, de chevauchées
et de navigation »
Entretien avec Nicolas Bonnal, auteur de Ridley Scott et le rétrofuturisme (éditions Dualpha)
(propos recueillis par Fabrice Dutilleul)
Pourquoi ce livre sur un cinéaste si commercial ?
Ridley Scott est un créateur visuel, un réalisateur qui a beaucoup filmé et sur lequel il y a beaucoup à dire. Notre inconscient collectif depuis quarante ans a été façonné par lui. Pensez à Alien (quelle parabole sur nos sociétés !), Blade runner, Gladiateur ou Prométhée. Je pense en outre que le cinéma d’auteur n’a jamais eu grand-chose à dire, alors que les œuvres grand public ont deux ou trois niveaux de lecture. Blade runner aura obsédé ma génération par son aura visuelle, sa rêverie nietzschéenne, sa dystopie cruelle et ses conflits métaphoriques.
Qu’est-ce que le rétrofuturisme ?
Je l’ai évoqué dans mon livre publié en 2000 sur Internet, nouvelle voie initiatique. C’est l’idée qu’à l’ère des jeux vidéo, des réseaux, des labyrinthes, des codes secrets, la Bible, la Genèse, la mythologie, la culture archaïque ont plus à nous apprendre que notre culture littéraire bourgeoise. Cela rejoint la remarque de Kubrick que la littérature de fantaisie nous parle plus que le romanesque. Alien évoque ainsi le minotaure, Blade runner les anges rebelles, Prométhée les géants du ciel et tous les thèmes Illuminati. J’aime aussi la fascination de Ridley Scott pour l’histoire – pensez aux duellistes napoléoniens – et pour le passé mythique. Si son Gladiateur est un grand film musical, ses opus sur le Moyen Âge relèvent par contre de ce que j’ai nommé les épopées désabusées, des pensums.
Y a-t-il un grand Ridley Scott ?
En tant que grand moghol de la pub, il a une dimension luciférienne. Il éblouit et fait vendre. Il a créé le look Lady Gaga dans le très Illuminati Légende, il a enluminé Apple. C’est aussi un cinéaste « impérial », tant britannique qu’américain – mais moins que d’autres ou que son frère. D’un autre côté, c’est un conservateur initiatique à l’anglaise comme je les aime ; un homme de culture un rien sceptique, mais épris d’aventures, de chevauchées et de navigation. Son film d’apprentissage Lame de fond est un modèle de cinéma politiquement incorrect. Scott défend l’héroïsme et l’imaginaire dans la grande tradition européenne. En même temps, dans tous ses films de science-fiction, il nous a prévenus : nous sommes dévorés tout crus par les grandes corporations. C’est fait. Et quel artiste visuel !
Votre approche ?
Au fil de l’eau, pour le plaisir. J’ai commencé par une étude de son profil, de ses idées, de son esthétique. Ensuite les thèmes entremêlés de son cinéma touffu : la mythologie, l’androïde, l’ascension de la femme, l’épopée ratée. Enfin la conclusion : la référence au cinéma noir, c’est-à-dire l’idée que la civilisation moderne est un piège.
Votre film préféré ?
Le premier, Boy and Bicycle. Le cinéaste révèle tout sur lui. C’est une matrice, une vraie mine. A voir et écouter !
Ridley Scott et le rétrofuturisme de Nicolas Bonnal, 256 pages, 31 euros, éditions Dualpha, collection « Patrimoine du spectacle », dirigée par Philippe Randa.
BON DE COMMANDE
à renvoyer à : Francephi diffusion - Boite 37 - 16 bis rue d’Odessa - 75014 Paris - Tél. 09 52 95 13 34 - Fax. 09 57 95 13 34 – Mél. diffusion@francephi.com
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… ex de Ridley Scott et le cinéma rétrofuturiste (31 euros)
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mardi, 09 avril 2013
Good bye Lénine, bonjour la mondialisation !
Good bye Lénine, bonjour la mondialisation !
Et les disciples, s’approchant, lui dirent : Pourquoi leur parles-tu en paraboles?
Matthieu, 13, 10.
Lorsque j’avais rédigé mon livre sur Internet la Nouvelle voie initiatique, j’avais constaté que le lexique des médias et de la « nouvelle économie » venait tout entier de la Bible et de la religion (paraboles, émission, chaîne, ondes, câble, antennes). Ce n’est bien sûr qu’un hommage du vice à la vertu : on se souvient que Trotski voulait vider les églises en remplissant les salles de cinéma, et c’est pour cela que le cinéma soviétique (qui me plaît tant) a une dimension et un contenu formel si hiératique… et orthodoxe. Le monde moderne est une immense entreprise de démolition et de sidération mentale qui recycle les outils de l’aventure spirituelle médiévale.
On se souvient que Good bye Lénine se voulait une comédie sur la transition du communisme au libéralisme, de l’Allemagne de l’Est à l’Allemagne de l’Ouest, ou plutôt à l’est de l’Allemagne. Une femme tombe dans le coma et son fils lui fait gentiment, avec un copain bricoleur, croire qu’elle est encore dans son petit monde communiste pour ne pas l’achever à son réveil : car la mère était une bonne communiste. J’ai beaucoup voyagé dans les pays communistes quand il y en avait encore, et je dois confesser que si les détails de la vie ordinaire étaient souvent exaspérants (encore que pas partout), la grande majorité des gens y était adorable et solidaire. Je me souviens en particulier de la Roumanie, celle de Ceausescu, où il y avait encore énormément de francophones et d’amateurs de la culture française. Ce n’est pas la première fois dans l’histoire qu’un mauvais système économique et politique produit de bonnes gens. Le nôtre est de pire en pire, de système capitaliste et mondialisé, et il les pourrit toujours plus, les gens.
Ce n’est pas le sujet : le sujet c’est Good bye Lénine, film que l’on n’a pas compris parce que qu’on cherchait à y voir ce qui n’y est pas. Ce qui y est et très nettement, ce ne sont pas les gens, tous comateux, c’est la télévision. Le problème, ce n’est pas ce que voit la mère, le problème c’est que la mère voit la télévision. Et la télévision ne remplace pas la réalité, la télévision est la réalité. Le fils veut prolonger le communisme mais établit le règne matriciel de l’occident médiatique. La mère du jeune est-allemand (excellent Daniel Brühl) peut voir ce qu’elle veut ensuite par la fenêtre, Coca-Cola, les immigrés vietnamiens, l’immobilier en déroute dans le Berlin d’alors (aujourd’hui ville la plus chère d’Europe et l’une des moins sûres, il ne faut pas désespérer), elle ne va pas le comprendre, parce qu’elle voit la télévision. La télévision est comme un faux prêtre parodique, la télévision réinterprète le réel comme un pasteur délinquant. La télévision est sa commande à distance. Le commentateur – son fils ou le présentateur – lui explique toutes les images ridicules qu’elle peut voir, et elle le croit. La télévision prend l’habitude pour notre Bien de distordre la réalité. A ce propos je suis toujours fasciné par les images No comment de la chaîne (sic encore) Euronews, images non commentées qui nous libèrent finalement de l’interprétation, de la médiation et du mensonge. Malheureusement le public n’a pas ce courage : il lui faut son commentaire qui est le même partout dans monde, et il refuse le comment se taire qui le libérerait de son rapport aliéné à la réalité ; et le libérerait des grands prêtres qui nous expliquent toute de travers depuis, mettons, les années 1830 (voyez Balzac, Edgar Poe, Tolstoï et leur compréhension du rôle malappris de la presse de masse). Le monde devient alors cette histoire racontée par un idiot, pleine de bruit et de fureur, et qui ne signifie rien.
« C’est pourquoi je leur parle en paraboles, parce que voyant ils ne voient pas, et qu’entendant ils n’entendent ni ne comprennent. »
La mère se réveille donc, absorbe et gobe tout, comme le téléspectateur moyen, celui qui croit qu’Assad tue les Syriens, que la BCE fait ce qu’elle peut, que Bernanke a sauvé le monde, que Goldman Sachs le couve, que l’ouverture des frontières est une bénédiction, que l’immigration est une chance pour la France, que Honni soit qui Mali pense, que le gouvernement fait ce qu’il peut et qu’on fera mieux la prochaine fois, en élisant Copé, Fillon, je ne sais qui. Sans oublier le péril nucléaire au Japon qui a fait trois Hiroshima et le réchauffement climatique après trois hivers épouvantables.
« Et lui, répondant, leur dit : C’est parce qu’à vous il est donné de connaître les mystères du royaume des cieux ; mais à eux, il n’est pas donné. »
La mère quitte donc le mensonge simplet du communisme pour entrer dans l’ère pan-mensongère du mondialisme dévoyé, dénoncé en vain par des myriades d’écrivains de droite comme de gauche. Sur le communisme, personne ne se faisait d’illusion ; tandis que sur notre société… C’est bien la preuve que l’oppression matricielle des médias y est bien plus forte (ou que l’on est au paradis !). Comme l’a expliqué Debord :
Un pouvoir absolu supprime d’autant plus radicalement l’histoire qu’il a pour ce faire des intérêts ou des obligations plus impérieux, et surtout selon qu’il a trouvé de plus ou moins grandes facilités pratiques d’exécution…
Le spectaculaire intégré a fait mieux, avec de très nouveaux procédés, et en opérant cette fois mondialement. L’ineptie qui se fait respecter partout, il n’est plus permis d’en rire ; en tout cas il est devenu impossible de faire savoir qu’on en rit.
Pensez à Ben Laden : invisible le jour de son attentat, invisible le jour de sa mort, inexistant dans sa vie comme dans sa mort. Mais omniprésent médiatiquement : un EGM, être généré médiatiquement par le spectaculaire intégré, dans toute sa splendeur. Ce lémur des médias conspirateurs aura bien remplacé tous nos murs de Berlin. Mais je me tais, le commissaire politique des conspirations va bientôt me faire taire.
Le film Good bye Lénine se termine bien, comme notre monde moderne. La mère meurt, et l’on projette ses cendres sur les toits au milieu des antennes de télévision.
Qui m’a reproché d’évoquer le baroque ?
La femme regardait les comédiens avec la fixité morne de l’abrutissement, sans paraître bien se rendre compte de ce qu’elle voyait. ( Capitaine Fracasse )
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samedi, 02 mars 2013
La guerre d’Espagne et l’art moderne comme instrument de torture et de conditionnement social
Nicolas BONNAL:
La guerre d’Espagne et l’art moderne comme instrument de torture et de conditionnement social
Ex: http://aucoeurdunationalisme.blogspot.com/
aussi j’aime le réalisme terrestre. Chez vous, tout
est défini, il y a des formules, de la géométrie ;
chez nous, ce n’est qu’équations indéterminées.
totalitaire révèle la communauté illusoire qui
l’approuvait unanimement, et qui n’était
qu’un agglomérat de solitudes sans illusions.
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lundi, 29 octobre 2012
Remarques perçantes sur les lettres persanes et la pensée médiatique
Nicolas BONNAL:
Remarques perçantes sur les lettres persanes et la pensée médiatique
Ah ! Ah ! Monsieur est Persan ?
C’est une chose bien extraordinaire !
Comment peut-on être Persan ?
En 1721 Montesquieu publie les « Lettres persanes« , petit ouvrage crochu et politiquement correct, destiné à être lu par le public décalé et jouisseur de la Régence : le succès est immense. Le bouquin est devenu un classique de cette littérature du XVIIIe siècle à dire vrai assez médiocre, mais si proche de nos moeurs, de nos marottes, de nos caprices de vieux. Le livre invente aussi quelque part le style journalistique venu d’Angleterre, comme toute la décadence française et même européenne, le matérialisme et la superficialité contemporaines.
Ce qui est le plus marrant dans le style journalistique, c’est qu’il ne se rend pas compte des rares fois où il dit la vérité. L’homme moderne, comme dit Soljenitsyne ne sait pas s’il est vivant, et le journaliste ambiant ne sait surtout pas quand il est conscient. Sur Montesquieu et son style élevé, sa lucidité parfois réelle, on peut citer cette phrase mémorable des « Commentaires » de Debord :
« Il est vrai que cette critique spectaculaire du spectacle, venue tard et qui pour comble voudrait « se faire connaître » sur le même terrain, s’en tiendra forcément à des généralités vaines ou à d’hypocrites regrets ; comme aussi paraît vaine cette sagesse désabusée qui bouffonne dans un journal. »
Montesquieu est peut-être avec Molière le seul classique qui nous quitte les remords de ne pas être né avant, à cette époque, in illo tempore, comme on dit chez Virgile. Reprenons le si scolaire (et mal expliqué, cela va de soi) passage sur les Persans à Paris. Ils deviennent des célébrités exotiques et dans l’instant on les « reproduit ». On est déjà dans la société de l’image, de la légende urbaine et de l’icône culturelle :
« Chose admirable ! Je trouvais de mes portraits partout ; je me voyais multiplié dans toutes les boutiques, sur toutes les cheminées, tant on craignait de ne m’avoir pas assez vu. »
La société de la Régence a rompu avec le Grand siècle, Bossuet et Louis XIV. On récolte les escroqueries financières, la culture du badaud amusé et le libertinage en attendant la Révolution. Les « Lettres persanes » sont en grande partie faites des cancans du harem, des minettes favorites, des eunuques et du reste qui annonce nos reality-shows. On n’y possède pas encore de gadgets Apple, mais c’est tout comme :
« Si j’étais aux spectacles, je voyais aussitôt cent lorgnettes dressées contre ma figure : enfin jamais homme n’a tant été vu que moi. Je souriais quelquefois d’entendre des gens qui n’étaient presque jamais sortis de leur chambre, qui disaient entre eux : Il faut avouer qu’il a l’air bien persan. »
On remarque les préoccupations très people de cette meute de beaufs qui veulent être tenus au courant du dernier persan venu à paris, en attendant celles sur le prochain persan bombardé… Le fait de tous faire mécaniquement la même chose, au siècle de l’homme-machine de La Mettrie et des chefs-d’oeuvre de Vaucanson ne retient personne, bien au contraire ! Etre branché, être au courant, être réactif, c’est faire comme le troupeau. C’est l’apophtegme de la démocratie moderne et libertaire : sois toi-même, fais comme tous. Il faut être là ou ça bouge, c’est-à-dire là où ça s’entasse.
Montesquieu rit bien sûr du pape, « vieille idole que l’on encense par habitude ! ». Il hait le catholicisme (L’inquisition ! L’inquisition !), il se moque du roi, « grand magicien » en matière monétaire (on a fait mieux depuis !!!) et il encense la vieille Venise et l’Angleterre. Mais il s’intéresse surtout à la mode, comme tous les esprits profonds de notre temps. Et que dit-il ?
« Je trouve les caprices de la mode, chez les Français, étonnants. Ils ont oublié comment ils étaient habillés cet été ; ils ignorent encore plus comment ils le seront cet hiver : mais surtout on ne saurait croire combien il en coûte à un mari, pour mettre sa femme à la mode. »
Tout va très vite, madame la marquise ! Dans leur ton provocateur, ces phrases sont étonnantes de lucidité ignorée et inconsciente. Montesquieu pressent la fin de l’histoire de Hegel et Kojève, et il annonce le présent permanent des penseurs profonds du XIXe, concept repris par notre dernier classique Guy Debord pour dépiauter notre réalité contemporaine :
« La construction d’un présent où la mode elle-même, de l’habillement aux chanteurs, s’est immobilisée, qui veut oublier le passé et qui ne donne plus l’impression de croire à un avenir, est obtenue par l’incessant passage circulaire de l’information, revenant à tout instant sur une liste très succincte des mêmes vétilles, annoncées passionnément comme d’importantes nouvelles ; alors que ne passent que rarement, et par brèves saccades, les nouvelles véritablement importantes, sur ce qui change effectivement. »
L’idée que tout va très vite est vieille comme la civilisation. En tout cas, il est défendu dans ces lignes de s’absenter de la matrice : elle pourrait se venger ! Il ne faut pas se laisser oublier, il faut préparer son retour, son come-back, comme on dit chez les vrais ploucs !
« Une femme qui quitte Paris pour aller passer six mois à la campagne en revient aussi antique que si elle s’y était oubliée trente ans. »
Il est vrai qu’à cette époque la campagne est encore un peu loi, même si Manon Lescaut et son amant joueur et spéculateur veulent leur hôtel particulier pas trop loin de la capitale !
J’en finis avec cette belle phrase, qui annonce bien nos temps qui courent, ou qui galopent même :
« Dans cette changeante nation, quoi qu’en dise le critique, les filles se trouvent autrement faites que leurs mères. »
Elle me fait tant penser dans sa perfection à celle de Debord, ce classique venu du marxisme, qui s’en prend à ce monde où « les hommes ressemblent plus à leur temps qu’à leur père. » Et c’est ainsi que le choc générationnel était bien plus profond et même ancien qu’on ne le croyait !
Il serait temps, en cette fin des temps, d’être un peu plus… perçant.
Nicolas Bonnal
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